par Pierre Rosanvallon
À l'aube du XXIe siècle, la
démocratie est à la fois triomphante et incertaine. L'évidence désormais universellement revendiquée de
ses principes s'accompagne en effet d'une perplexité croissante sur les formes
de son accomplissement. D'un côté, les hommes et les femmes aspirent à
davantage de pluralisme et de décentralisation, à l'extension des contre-pouvoirs
et à un contrôle des institutions démultiplié au plus près des réalités. De
l'autre, ils expriment une demande accrue de politique et souhaitent la plus
forte affirmation d'un lieu central dans lequel puisse s'exprimer et prendre
forme une volonté commune efficace, conjurant le péril d'une "gouvernance
sans gouvernement". Cet ouvrage éclaire les termes de cette question en
reconsidérant l'histoire du cas français qui a constitué depuis deux siècles un
laboratoire exemplaire de la tension moderne entre le particulier et le
général, les corps intermédiaires et l'État.
Si le procès de la
centralisation et du jacobinisme a mille fois été instruit depuis Tocqueville,
il y a une autre histoire qu'il convient de prendre en compte pour saisir la
marche effective des choses : celle des fortes résistances à ce jacobinisme.
Car ce "modèle" n'a pas cessé d'être massivement dénoncé ou critiqué
en même temps qu'il était généralement décrit comme dominant. Du même coup, il
n'est pas resté figé dans sa forme native et s'est largement amendé. En
resituant ainsi la prégnance de la culture politique illibérale hexagonale dans
le cadre dynamique des épreuves et des contraintes auxquelles elle n'a cessé
d'être confrontée, Pierre Rosanvallon est conduit à proposer une nouvelle
interprétation d'ensemble du système français.